La neutralité du réseau, un principe pas net

Logo neutralité du réseau

  On retrouve très souvent ce terme de « neutralité du Net » dès qu’un sujet touche de près ou de loin au monde du web. Pour lancer une polémique, mettre en avant une contradiction ou pour crier au scandale et au complot politique, la neutralité du net semble apparaître comme une arme à double tranchant. Une arme peut-être, mais surtout un instrument qui permet de donner de la légitimité à ses propos.

Une petite définition pour commencer :

  La neutralité du Net est un principe qui prône une distinction complète entre le réseau (le Net) et les opérateurs qui le mettent en place et le gèrent (comme les fournisseurs d’accès ou FAI). En outre, ces derniers ne doivent pas pouvoir discriminer les données et les contenus qui circulent dans leur réseau.

  L’idée est simple, les opérateurs ne doivent fournir que les « tuyaux » dans lesquels circulent les données sans en altérer  le contenu,  la source ou la destination. Quand j’envoie un paquet sur Internet, je veux qu’il arrive exactement où je souhaite qu’il aille et exactement tel que je l’ai envoyé.

Petite illustration très simple pour expliquer ce qu’est la neutralité du Net :

  Si le Net était une autoroute et les données les voitures, il faudrait considérer 2 types de situations pour visualiser la différence entre une circulation neutre et une circulation discriminée.

  Dans le premier cas, toutes les voitures circulent librement, sans contrôle (sans vérification de l’identité de leurs passagers) et toutes payent les mêmes frais de péage.

  Dans le second, il existe au moins 2 voies distinctes :

  • Une voie « VIP » où les voitures circulent très rapidement et de manière complètement fluide. Elle n’est accessible que pour des privilégiés ayant de très gros moyens financiers.
  • Une voie « standard », victime d’embouteillages constants où il est impossible de circuler rapidement et librement. Elle est accessible à tous pour un tarif de base.

  Des offres différenciées ? Rien de choquant à première vue. En effet il est courant de faire payer plus pour un service de base auquel on ajoute un degré de luxe ou de confort supérieur (voyage en première ou seconde classe par exemple). Il semble également naturel de se dire que les fournisseurs d’accès sont libres de tarifer et d’échelonner leurs services à leur guise dans la mesure où la mise en place d’un réseau, son entretien et sa modernisation constante induisent des coûts et de nombreux investissements.
Pourtant quand il s’agit du réseau, la « neutralité du Net » semble interdire ce genre de pratique commerciale, étrange non ? Eh bien pas tant que ça. Dans la plupart des différenciations tarifaires mises en place sur différents produits ou services n’est induite qu’une différence en termes de confort sans en altérer l’objectif principal à son état brut. Pour ce qui est du Net, discriminer le contenu ou la circulation sur le réseau ne se limite pas à une différence de confort en termes de navigation, cela remet en cause le principe même d’Internet qui est la circulation libre des données et de l’information.

Un peu d’histoire pour mieux comprendre pourquoi le net et sa neutralité sont liés dès l’origine :

Stéphane Berne et secrets d'histoire

  Revenons aux origines d’Internet : simple interconnexion de terminaux scientifiques sous la forme d’un réseau restreint, il permettait d’échanger des données scientifiques. Le problème étant que les langages et codes tous différents limitaient la transmission de l’information.
Un chercheur du CERN, Tim Berners-Lee eut alors une idée : mettre en place une sorte de « documentation system in the sky » (un nuage ?) qui permettrait de faire circuler le savoir de manière universelle. Il inventa le langage HTML et le protocole http pour créer le « World Wide Web » en 1990, la base de l’Internet que nous connaissons aujourd’hui.

  Pour assurer cette vision et son idée d’Internet, Tim Berners-Lee a par la suite fondé le World Wide Web Consortium (W3C). Cette organisation internationale développe les standards du web afin d’assurer une transmission libre et optimale des données. Avec ses principes tel que le « Web for All » ou le « Web on Everything », le W3C en tant que représentant officiel de l’Internet global défend parfaitement l’idée d’un Internet libre, neutre et accessible à tous sans la moindre discrimination.

  La neutralité du Net est donc un des principes fondateur d’Internet car elle garantit la libre circulation de l’information et du savoir.

Que peuvent être les conséquences du non-respect de ce principe ?

  Révoltez-vous citoyens et tenez-vous prêt car le non-respect de ce principe vous renverra tout droit à l’âge de pierre des libertés fondamentales. La neutralité du Net permet en effet de garantir la liberté d’expression mais aussi la libre concurrence !

  Prenons un géant du commerce électronique et donnons-lui la possibilité d’accéder grâce à ses moyens financiers colossaux à un réseau privilégié au détriment de toute la circulation parallèle. Dans ce cas, les internautes pourront accéder de manière ultra rapide aux sites et services de cette compagnie.
À l’inverse, les petites entreprises concurrentes qui viennent de se lancer ne pourront pas bénéficier du même genre de service et seront noyées dans un réseau embouteillé. Comme l’accès à leurs sites est devenu lent et désagréable et que la lenteur de la connexion et le lag sont l’ennemi numéro un de l’internaute, ce dernier préférera se tourner vers les services de la première entreprise.

  Cela détruirait les nouvelles entreprises, les start-ups et de ce fait l’innovation (elles appellent en effet bien plus à l’originalité que les grands groupes). Cette atteinte à la liberté d’entreprendre contaminerait notre liberté d’expression dévorée à son tour par le monopole des grands médias.

  Bien sûr on est très loin de cette situation et heureusement. Mais est-ce que mon discours teinté de paranoïa et de théorie du complot n’est que pure affabulation ?

Comment la neutralité du Net est-elle remise en cause de nos jours ?

  Rappelez-vous ce que nous voulons lorsque nous envoyons des données sur Internet : qu’elles soient transmises exactement où je veux et telles que je les ai envoyées.

  • Si l’on limite l’accès à mes données parce que la nature de celui-ci ne plaît pas au fournisseur d’accès (données peer-to-peer, contenu trop gourmand en bande passante…) on catégorise cette atteinte à la neutralité du Net comme étant une « discrimination à l’égard du contenu».
  • Lorsque des données où l’accès à certains services web sont limités (parce que celui qui les émet monopolise la bande passante des FAI par exemple) on parle de « discrimination à l’égard de la destination ».
  • Quand des services différenciés privilégient des utilisateurs à condition qu’ils paient ou accèdent à des offres plus onéreuses on parle alors de « discrimination à l’égard de la source ». Dans ce cas, même en cas de congestion du réseau ces personnes seront considérées comme prioritaires.
  • Tandis que si l’opérateur modifie soit en changeant le format, la nature ou en ajoutant des données à vos paquets (recompression d’images, ajouts de liens sur l’outil de navigation par le FAI…) l’on parle ici d’ « altération du contenu ».

  La plupart du temps ces discriminations sont difficilement identifiables comme telles et relèvent plus souvent d’un mélange entre les différentes catégories. Bien entendu tout ce qui de près ou de loin pourrait altérer une utilisation libre ou globale du réseau peut être considéré comme une atteinte à la neutralité du Net.

Un exemple pour mieux comprendre : Free VS Youtube 2013 

  Début 2013 éclata un conflit entre Youtube et Free dont l’essence même repose sur une définition différente de la neutralité du Net.

  Youtube accusait Free de limiter le contenu venant du site de Google rendant les vidéos de celui-ci presque inaccessibles tant la lenteur du chargement était pesante. En effet, en période de congestion du réseau l’organisation des flux de Free était un peu mise à mal. Les données passant normalement par un lien de peering de base (échange de données, flux aller et retour avec un pair, la plupart du temps non payant si équilibré) devaient être redirigées vers un autre en cas de bouchons dans les tuyaux. Cependant cet autre lien étant normalement payant, Free avait décidé de ne pas y faire passer le contenu provenant de Youtube. Pourquoi ?

  Parce que Free dénonçait le monopole de Google sur le réseau et surtout son appétit gigantesque en bande passante. Face au refus de Google de participer financièrement à son utilisation du réseau on s’est très vite retrouvé dans un conflit un peu tendu entre le fournisseur d’accès et le géant américain. Le bridage n’était pas vraiment délibéré, Free refusait simplement d’allouer un tuyau plus gros aux services de Google sans contrepartie financière.

  Même si la demande de Free peut paraître clairement en opposition avec les principes de la neutralité du Net, ses réclamations n’en sont pas moins légitimes. En effet Google monopolise la bande passante de manière complètement gratuite (c’est ce que prône la neutralité du réseau) mais refuse de participer un tant soit peu à l’amélioration et la modernisation du réseau (qui permettrait une meilleure diffusion des données et irait également dans le sens de la neutralité du Net).

  Par ailleurs, l’ARCEP, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes a tranché en démontant que Free n’avait en aucune manière porté atteinte à la neutralité du réseau.
Ce problème rencontré par Free et Youtube est récurrent, notamment en France, où ce débat a déjà eu lieu avec les autres opérateurs. Il entretient également l’idée d’une taxe sur la bande passante qui revient régulièrement sous forme de projets de loi de la part du gouvernement français. Pour le moment, rien n’a été mis en place dans ce sens mais le débat est toujours ouvert.

  On voit ici que la neutralité du Net n’est pas un filtre si absolu pour déchiffrer si ce qui se passe dans le monde du web est bien ou non. C’est une problématique bien plus complexe qui demande un degré d’analyse et de réflexion personnelle importante. En effet, ne jugez pas que quelque chose va dans le bon sens uniquement parce qu’elle prône le respect de la neutralité du Net.

  Si vous voulez approfondir le sujet je vous invite à aller voir La quadrature du Net, le site d’une des associations de défense des droits d’Internet les plus influentes dans le domaine.

Thomas Smail

J'adore les lolcats. Venez voir mon blog perso, y'a pas de chatons mais il est bien: https://biblio-test.fr

1 commentaire

  1. Retrolien : Net Neutralité et Marketing Digital : Des Liens Insoupçonnés ? #audreytips

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