Big data : un buzzword définissant des ensembles de données structurées et non structurées volumineux. Ils dépassent l’intuition et les capacités humaines d’analyse, ainsi que celles des outils informatiques classiques de gestion de bases de données ou de l’information. (alors oui c’est une définition Wikipédia cependant elle est très bonne !)
Et concrètement ?
Les big data sont des données issues d’un flux très grand en termes de volume, très rapides (vélocité de la donnée). Elles proviennent de différentes sources et sous différentes formes. (Variété de la donnée).
Cette combinaison de facteurs rend extrêmement difficile la capacité d’analyser et traiter la donnée en direct. Néanmoins, une telle capacité à faire “parler” la donnée immédiatement est exactement ce qui est recherché dans un domaine tel que l’aéronautique.
Accessoirement le traitement de « big data » n’a rien de nouveau dans l’industrie aéronautique ! En effet les capteurs sur les avions ont depuis toujours collecté des données diverses et variées telles que la vitesse, l’altitude, la température extérieure ou encore la stabilité de l’appareil en cours de vol.
Aujourd’hui les acteurs de l’aéronautique misent de plus en plus sur les big data.
Le sujet est tellement vaste que je vais me focaliser sur deux points en particulier :
Commençons par comprendre la place importante des big data sur l’évolution du marché de la maintenance aéronautique. Ces dernières bousculent totalement le jeu concurrentiel de ce secteur.
Ce marché gigantesque représente aujourd’hui 122 milliards d’euros.(68 Mds d’euros uniquement pour les avions commerciaux). Selon les estimations d’un récent rapport Xerfi, la flotte totale d’avions commerciaux devrait passer de près de 29 000 actuellement (28 635 au 10 juillet 2017 selon flightglobal.com) à plus de 40 000 pour 2027. Cela va bien sûr de pair avec l’accroissement du trafic passager qui devrait doubler durant les 10 prochaines années.
Les analystes du cabinet Oliver Wyman tablent sur une forte croissance du marché de la MRO pour la prochaine décennie. Ce marché devrait représenter 100 mds d’€ sur les avions commerciaux.
C’est donc un marché avec une très bonne conjoncture à moyen terme. La MRO est donc une véritable manne économique. Néanmoins, elle reste un secteur très complexe, assez concurrentiel et difficile d’accès.
Une augmentation de la flotte d’appareils entraîne forcément l’émergence de nouveaux avions et de nouvelles technologies. De nombreux avions en fin de vie vont également être remplacés par des modèles de nouvelles générations. Ces derniers sont truffés de centaines de milliers de capteurs (a380, a350, 737max, A3Xneo, Cseries…) qui vont permettre de récolter d’importantes quantités de données. Elles ne se cantonneront plus seulement au niveau des systèmes mais désormais avec un niveau de précision au niveau des pièces et composants. D’ici dix ans, environ 40 % de la flotte actuelle devrait être mise en retrait, selon l’étude du cabinet Wyman.
La mise en place de la maintenance prédictive des appareils grâce aux big data sera l’enjeu majeur de ces technologies.
Pour bien comprendre le paragraphe suivant, il faut distinguer maintenance préventive et corrective
Les outils de maintenance prédictive sont aujourd’hui un des nerfs de la guerre de ce marché. Imaginez des outils qui permettent d’analyser et d’interpréter toutes les données relatives sur chacune des pièces d’un avion. Par exemple, les données peuvent établir la tension mécanique que subissent les pièces. On peut ainsi connaître le véritable état de santé des pièces ‘en temps réel’. Cela permet de définir au mieux les opérations de révisions et de maintenance nécessaires sur un avion.
Les opérateurs peuvent ainsi anticiper des pannes ou des défaillances. Cela évite toutes immobilisations imprévues d’un appareil. La compagnie peut donc faire les meilleurs compromis en termes de coût et sécurité pour remplacer le composant au meilleur moment.
C’est également très intéressant en termes de maintenance corrective. La précision des informations fournies par les nouveaux systèmes permet aux techniciens d’identifier et de remonter rapidement au composant à l’origine de la panne. Grâce à son système de maintenance prédictive développé en interne par Air France KLM, les temps d’identification et de localisation des pannes sont passés de 6h à 5 minutes !
Les ingénieurs peuvent ensuite réutiliser ces données pour capitaliser la courbe d’expérience. En se basant sur les version antérieures, ils vont concevoir de nouvelles pièces et équipements plus optimaux.
La maintenance prédictive permet également aux sociétés de maintenance de mieux gérer et optimiser leurs stocks.
Le système de maintenance corrective repose aujourd’hui sur les fameuses visites de maintenance des avions. Il s’agit de visites techniques de maintenance obligatoire à intervalles réguliers prédéfinis selon 4 niveau d’importance. Ces niveaux correspondent à un nombre donné d’heures de vol ou à une durée de vie estimée d’un appareil donné.
On se dirige donc aujourd’hui, de plus en vers des systèmes de maintenance prédictif et préventif tant les avantages sont nombreux par rapport à l’organisation corrective. En aéronautique, mieux vaut prévenir que guérir !
– le big data pour des vols plus sûrs, plus confortables et optimaux-
Cette technologie a de nombreux avantages pour les compagnies aériennes. Ces dernières cherchent à minimiser le temps d’immobilisation de leurs appareils ou annulation de dernières minutes. Sachez qu’elles perdent 10 000 dollars par heure d’immobilisation forcée d’un appareil ! Les acteurs de la MRO en profitent aussi pour optimiser leurs activités.
Des compagnies aériennes développent donc leurs propres outils à travers des filiales comme AirFrance Industries ou Lufthansa Technik.
Air France KLM a déployé sa solution de maintenance prédictive : Prognos d’abord testé sur ses A380 et les 747 de KLM . Il est aujourd’hui mis en place sur plus de 1500 moteurs.
L’outil permet d’anticiper les pannes notamment sur le circuit de carburant, un des équipements les plus fragiles d’un avion. Les pannes sont détectées entre 10 à 20 jours avant leur apparition. Les compagnies veulent éviter à tout prix l’immobilisation de l’appareil et encore plus les immobilisations surprises sur des aéroports lointains. Dans ces cas-là, il est nécessaire de nourrir et héberger les passagers. Il faut aussi affréter un vol sur place avec les techniciens et les pièces détachées destinées à la réparation. Vous l’aurez compris l’addition devient vite salée pour la compagnie.
Les motoristes et équipementiers développent eux aussi leurs outils de maintenance prédictive. Nous pouvons citer Predix de General electrics, Enginewise de Prattwhitney , Flightlink de Bombardier ou encore Prognostic & Risk Management d’Airbus.
Safran en tant que motoriste a une division entièrement dédiée sur ce sujet. Elle propose des solutions de maintenance prédictive sur ses moteurs d’avions et d’hélicoptères.
Coté équipementier, Thales a réalisé de nombreux investissements, notamment des plans de croissance externe afin de devenir un super leader du big data et du numérique en général. Elle a notamment fait plusieurs acquisitions dans le domaine de la connectivité, de la mobilité et de la cybersécurité. Thales a récemment acheté la startup Guavus, pionnière dans l’analyse en temps réels de mégadonnées. Grâce à sa maîtrise du big data, Thales a pu remporter un appel d’offres d’une valeur de 1 milliard d’euros. Ce contrat avec l’armée de l’air (SIMMAD) concerne l’approvisionnement logistique de consommables aéronautiques. Le contrat consiste à mettre à disposition de l’armée de l’air un catalogue de pièces de rechange nécessaires aux appareils aéronautiques de l’armée (Rafale exclu) et être capable d’assurer la livraison en 7 jours auprès des 47 bases françaises.
Il y a donc une lutte féroce entre les compagnies aériennes, les équipementiers, les motoristes, les constructeurs et d’autres acteurs indépendants (Sabena Technics et Revima Group entre autres) afin de tirer son épingle du jeu. Ce marché semble cependant moins soumis aux variations et aléas que le marché de la vente directe d’appareils et d’équipements.
Les principaux acteurs du numérique spécialisés dans l’édition de logiciel de maintenance prédictive, le cloud computing, le machine learning ou encore l’internet des objets voient une véritable opportunité d’aller récupérer une partie des dépenses faites en MRO : Google, Microsoft, IBM, Amazon WS , Palantir… Ces entreprises investissent des sommes colossales dans les modèles prédictifs. Ils peuvent donc être en mesure de proposer des outils qui détrôneraient les outils et systèmes actuellement mis en place par les acteurs historiques de l’aéronautique.
Ainsi, la maintenance prédictive va permettre aux compagnies d’anticiper au mieux les pannes. Elles minimisent aussi le risque d’immobilisations surprises . Cela optimisera donc les activités de maintenance et réparation aéronautique. Les acteurs de la MRO vont également pouvoir mieux gérer et optimiser leurs stocks et l’ensemble de leur chaîne logistique.
Les acteurs historiques, déjà menacés par les géants du numérique (Google, IBM, Microsoft, Amazon,…), sont aussi confrontés à deux problématiques liées au big data :
Evidemment, le sujet du numérique et de l’aéronautique est très vaste. Il y’a d’autres leviers de dynamisme comme par exemple les impressions 3D , la réalité augmentée, les interfaces hommes-machines, l’automatisation, la cybersécurité, l’intelligence artificielle, l’optimisation de la supply chain ….
Nous allons maintenant parler d’un autre sujet utilisation des big data primordial dans l’aéronautique : la valorisation des donnés constructeurs et leurs nouvelles offres de service.
Cette croissance du marché des MRO va booster celle du marché des services aéronautiques. En effet, ces derniers englobent le marché des MRO.
Actuellement, les constructeurs investissent de plus en plus dans de nouveaux marchés porteurs et à forte valeur ajoutée. Il peut s’agir de l’aménagement des cabines (lancement de la filiale Airbus Interiors Services en avril 2017), de la MRO, des produits de simulations ou encore des services aéronautiques et numériques. Ils cherchent à développer leurs activités par le biais de filiales.
Les constructeurs sont dans une phase offensive de développement. Ils sont les plus qualifiés pour collecter et analyser la donnée de leurs propres appareils.
Ils utilisent ensuite ces données pour proposer de nouveaux services à fortes valeurs ajoutée à leurs partenaires (équipementiers / motoristes / sous-traitants). Les constructeur les offrent aussi à leurs clients (compagnies aériennes, armées , société de leasing…) ainsi qu’à des acteurs hors du circuit aéronautique.
L’objectif des constructeurs est de devenir des acteurs globaux. En effet la maîtrise des big data permet aujourd’hui d’élargir sa gamme de prestations de services dans de nouveaux domaines survenant après la vente d’un avion.
On peut de ce fait voir de nouvelles offres de services ayant connu un rapide développement :
Les constructeurs Bombardier et Embraer misent également beaucoup sur le développement de leurs offres de services. Leurs prévisions de croissances de leurs activités sont fortes sur ces domaines pour les prochaines années.
La réponse à cette offensive des constructeurs par les motoristes et les équipementiers est assez claire. Ils augmentent leurs tailles afin de renforcer leur position sur le marché.
On peut par exemple citer les exemples d’UTC qui a racheté Rockwell Collins, Safran qui a racheté Zodiac Aerospace ou bien encore Thales qui ne cesse d’investir lourdement dans la croissance externe pour devenir un super leader du numérique rivalisant avec les GAFA (le récent rachat de Gemalto est un exemple parmi d’autres)…
A l’heure actuelle, les constructeurs essayent de capitaliser les atouts apportés par les données collectées par leurs avions pour étendre leur gamme de services. Cela leur permet de développer leurs activités et se positionner sur des business à forte valeur ajoutée.
Je le rappelle, le champ d’étude « big data et aéronautique » est extrêmement vaste tant ces 2 domaines sont liés.
Je n’ai notamment pas parlé du service passager ou encore du secteur aérospatial. Dans ce domaine, le big data joue et jouera un rôle primordial dans l’élaboration de nouveau business model. Si ce sujet vous intéresse, Orange Business services et Airbus sont actuellement sur un projet de valorisation de données issues de l’espace. Ils vont, à travers une nouvelle plateforme hebergée dans le Cloud public d’OBS, fournir un service d’accès ouvert aux informations en temps réels. Ces dernières sont issues du programme d’observation et de surveillance européen de la Terre, le programme Copernicus.
Un webinar gratuit à ce sujet s’est tenu le mardi 13 mars 2018 : Visionable sur ce lien !
Mohamed
12 juin 2018 at 13 h 48 min
Merci pour cet article très complet. On voit que le secteur est en pleine mutation.