Les films de science-fiction et notamment Star Wars ont lourdement influencé l’imaginaire du grand public. De plus en plus de personnes se sont imaginées voyager de planètes en planètes pour vivre de folles expériences. L’année 2018 est censée être une étape clé dans le développement du tourisme spatial, et plus précisément du tourisme suborbital. Ainsi, Blue Origin, SpaceX ou encore Virgin Galactic ont prévu leurs premiers vols habités cette année !
Cependant, pour comprendre la guerre qui confronte ces géants de l’aérospatial, il faut bien différencier tourisme suborbital et tourisme spatial.
Le tourisme spatial est, selon Wikipédia, « l’activité touristique qui regroupe l’ensemble des expériences, entraînements, vols à sensations, qui permettent à des personnes d’aller dans l’espace pour des motifs non professionnels ».
Pour créer une typologie des voyages spatiaux, la distance par rapport à la Terre ainsi que les différentes couches de l’atmosphère sont généralement utilisées. Ainsi, quand nous traitons de tourisme spatial dans cet article, nous parlons donc du tourisme qui se situe dans la thermosphère. Cependant, nous pouvons différencier deux types de vols dans le tourisme spatial : la ligne de Kármán sépare les vols orbitaux des vols suborbitaux.
Pour vous expliquer la ligne de Kármán, il s’agit de la limite théorique admise dans le domaine de l’aérospatial, située à 100 kilomètres, qui sépare l’atmosphère terrestre et l’espace, selon la Fédération Aéronautique Internationale.
Pour expliquer cela de façon très simple : un vol au dessus de la ligne de Kármán est un vol orbital, un vol en dessous de la ligne de Kármán est un vol suborbital !
Dans le cas d’un vol orbital, la vitesse horizontale de l’engin spatial dépasse les 7,7 km par seconde, ce qui va lui permettre de se maintenir en orbite.
Un vol suborbital nécessite beaucoup moins d’énergie. Il ne s’agit pas de mettre en orbite l’engin mais de lui permette d’atteindre la thermosphère et s’approcher de ses 100 km d’altitude. Puis la gravité annule la vitesse d’ascension acquise lors de la propulsion, ce qui entraîne la chute libre de l’engin. C’est dans ce cadre que les passagers sont en stade 0G, couramment appelé apesanteur/impesanteur. Le tourisme suborbital induit donc forcément un séjour court avec un instant d’apesanteur puis un retour sur Terre.
Dans le cadre des tests réalisés par les scientifiques en situation 0G en collaboration avec le CNES, les phases avant et après l’instant « 0G » sont appelées 1.8G. Comprenez ici que les scientifiques ressentent une gravité 1.8 fois plus forte.
Pour résumer ceci, ARTE a fait une vidéo très simple à comprendre :
Maintenant que nous avons bien compris comment fonctionne le vol suborbital, essayons de comprendre son historique.
Le vol suborbital est en réalité plus vieux que la plupart de nos lecteurs. En effet, le premier homme envoyé dans l’espace, Youri Gagarine n’a pas été envoyé au hasard. Il a fallu faire des tests, développer des technologies spécialisées dans ce genre de vol, comprendre comment l’apesanteur peut influer l’organisme, etc.
Dès la fin des années 1950, des animaux sont envoyées dans des « fusées sondes » qui effectuent des vols suborbitaux pour les soumettre quelques minutes à l’apesanteur. Cela permettait de vérifier en direct l’état vital des sujets. Les décennies qui suivirent ont vu des milliers de fusées sondes lancées afin d’effectuer des tests sur les différentes couches de l’atmosphère, sur la microgravité, les évolutions biologiques en absence de gravité, et j’en passe.
Je vous recommande les vidéos d’Astronogeek sur les vols en 0G où il explique très bien de quoi il s’agit et met en avant les expériences scientifiques développées :
Moins connus que Neil Armstrong, les deux premiers Américains dans l’espace Alan Shepard et Guss Grissom ont réalisés un vol suborbital de 16 minutes à bord des capsules Mercury en 1961.
Dennis Tito, ancien collaborateur de la NASA pour le calcul des trajectoires puis créateur d’une entreprise en conseil de technologies, est devenu le 28 avril 2001 le premier touriste de l’espace. À bord de la mission Soyouz TM-32, il a réalisé un vol de 7 jours 22 heures et 4 minutes en comptant un arrimage à la station spatiale internationale. Jusqu’en 2014, Virgin Galactic, créée en 2004 par Richard Branson proposait un vol suborbital d’une durée de 2 à 3 heures pour 250 000 dollars.
7 touristes avaient été emmenés jusqu’en 2014. Cependant, le crash du vaisseau spatial SpaceShipTwo de Virgin Galactic le 31 Octobre 2014 faisant un mort et un blessé grave a quelque peu refroidi la dynamique du tourisme surborbital.
Pourtant, 2018 semble être l’année clé du tourisme spatial, puisque les grands noms ont annoncé des dates de vols. Blue Origin, Virgin et SpaceX ça vous parle ? Peut-être davantage si je vous cite respectivement : Jeff Bezos (patron d’Amazon), Richard Branson et Elon Musk !
Pour revenir à Virgin Galactic, après 2 ans d’enquête de l’administration aérienne américaine et 3 ans de tests au sol, Richard Branson a annoncé que leur nouveau vaisseau VSS Unity est enfin prêt.
Ce vaisseau sera aéroporté dans le ciel par un énorme double avion. Une fois lâché, il pénétrera dans l’espace grâce à des roquettes boostées au protoxyde d’azote. Les touristes spatiaux devraient décoller cette année.
Richard Branson annonce que déjà 700 clients potentiels (Brad Pitt ou encore Katy Perry) seraient prêts à vivre l’expérience pour 210 000 euros (250 000 dollars). Cette année semble sourire à Virgin Galactic qui a vu le Fond public d’investissements saoudien investir 1 milliard de dollars dans la compagnie de tourisme spatial.
Blue Origin prévoit ses premiers touristes spatiaux en 2019. Fin 2017, Jeff Bezos avait annoncé le succès du premier vol de Crew Capsule 2.0. Cette capsule à six places est montée sur un engin réutilisable. Une fois arrivée à la hauteur adéquate, la capsule et le New Shepard (plus gros propulseur développé par la firme, d’une vitesse de plus de 28 000km/h) se séparent.
Le lanceur revient se poser sur Terre tandis que la capsule entame une descente lente en déployant des parachutes. La spécificité de cette capsule réside en ces fenêtres. Un mètre de haut pour 80 centimètres de larges, les premiers touristes de l’agence auront un panorama spectaculaire.
La mission dure une douzaine de minutes pour un coût entre 100 000 et 200 000 dollars.
Les médias parlent souvent de Virgin Galactic, Blue Origin et SpaceX dans cette guerre concurrentielle des étoiles. Pourtant ces grands noms ne sont pas les seuls se lancer dans l’aventure du tourisme suborbital.
The Lynx Rocket Plane, avion-fusée élaboré par Xcor depuis 2003 devait envoyer son premier touriste dans l’espace en 2017. Il promettait une vue incroyable sur la courbure de la terre et un état d’apesanteur pendant 4 à 5 minutes. Cependant, l’entreprise a fait banqueroute en 2017.
World View Enterprises propose une capsule pressurisée s’élevant dans les airs grâce à un gigantesque ballon d’hélium. L’engin pèserait plus de 4 500 kilogrammes et transporterait 6 touristes et 2 membres d’équipage. L’ascension jusqu’à 30 km durerait 2 heures avant que la capsule ne se sépare du ballon. Elle continuerait ensuite son ascension jusqu’à 46 kilomètres d’altitude. Le voyage durerait au total 5 à 6 heures pour un prix de 75 000 dollars.
Je le mentionne dans cet article car ils se positionnent comme une agence de tourisme suborbital. Cependant, ils offrent un service de plus petite envergure. En Octobre 2017, un premier vol avait été réussi. Ce succès a été terni par l’explosion d’un ballon en Décembre 2017 causant des dommages superficiels dus à la détonation.
Airbus, un des leaders de l’aéronautique, a prévu le Spaceplane, un véhicule de 18 tonnes pouvant transporter 4 touristes et un pilote pour un vol suborbital. Le projet a été annoncé en 2008 pour un premier lancement probable en 2020. Le prix du siège serait de 250 000 dollars pour un voyage d’1H30.
L’avion-fusée décollera avec un moteur classique puis allumera un moteur de fusée pour la partie spatiale.
Cependant, d’autres projets se veulent plus ambitieux et défier ce cap des 100 kilomètres de hauteur.
RKK Energia a prévu en 2022 le lancement leur fusée Soyouz (une des plus connues dans le domaine aéronautique avec plus de 70 ans d’ancienneté) pour atteindre les 380 kilomètres d’attitude. Le vaisseau spatial pourra amener 8 passagers. Soyouz passera par la Station Spatiale Internationale (330 km) puis survolera la Lune avant de revenir sur Terre. La durée de ce séjour est de 10 jours pour un billet à 81 millions de dollars.
Roscosmos, l’agence chargée du programme spatial civil russe, a délivré la première licence de tourisme spatial à la société Kosmokours. Cette dernière travaille sur un complexe spatial suborbital réutilisable destiné à des vols touristiques dans l’espace. Ce vaisseau sera composé d’un lanceur et d’un engin spatial. Il pourra embarquer six touristes et un instructeur-pilote pour un prix unitaire entre 200 000 et 250 000 euros. Le premier vol débuterait entre 2021 et 2022.
Il lui faudra 15 minutes pour atteindre 180 à 220 km de hauteur, puis 5 à 6 minutes de 0G.
Tout à l’heure, je vous ai mentionné SpaceX. La société a su s’imposer dans le milieu aérospatial ces dernières années. Entre fusées réutilisables, voiture dans l’espace et maintenant leur nouvelle combinaison, Elon Musk a prouvé la solidité de son entreprise. Il veut lui aussi se lancer dans le tourisme spatial.
Leurs vaisseaux seraient envoyés dans l’espace depuis un pas de tir. Ils comporteraient un lanceur Falcon 9, le lanceur partiellement réutilisable de SpaceX, et une capsule nommée « Dragon 2 ». Elle pourra accueillir 7 passagers à bord pour un prix unitaire de 20 millions d’euros. Les premiers envois devraient se faire fin 2018. Le voyage durerait une semaine (entre 500 et 650 000 kilomètres à parcourir). Les touristes quitteraient la Terre, passeraient près de la Lune sans s’y poser puis reviendraient sur notre planète. Cela fait partie du plan d’Elon Musk dans la colonisation de Mars dès 2025. Ce dernier a notamment prévu de lancer cette capsule pour un vol de 6 mois en direction de l’orbite de Mars à partir de 2020. Le prix n’a pas encore été fixé.
Vous vous dites sûrement qu’Elon Musk a l’ambition la plus démesurée dans tous ces projets ? Raté !
La société Orion Span a prévu d’ouvrir le premier hôtel de luxe dans l’espace en 2022 ! Il offrirait une vue imprenable sur Terre selon eux. Cette décision a été annoncée lors du sommet Space 2.0 à San José en Californie. Six touristes et deux membres d’équipage feraient ainsi une « escapade » de 12 jours pour un prix unitaire de 7.7 millions d’euros. La station se situerait à 320 kilomètres d’altitude et permettrait de faire le tour de la Terre en 90 minutes.
Plus d’excuse pour rater le lever/coucher de soleil. Cette station spatiale devrait faire dans les 42 m² et aura un service « all inclusive », Internet haut débit compris.
SpaceX et Boeing sont aussi les 2 sélectionnés par la NASA pour le projet de « taxis spatiaux ». En effet, l’agence américaine finance deux systèmes de transports spatiaux. Le Starliner de Boeing et le Dragon 2 de SpaceX pourront ainsi réaliser chacun deux vols d’essais à destination de la Station Spatiale Internationale. Un vol de chaque sera habité.
Ces « taxis de l’espace » permettraient aux États-Unis de ne plus être dépendant de la Russie pour les voyages spatiaux. Charles Bolden, un ancien Administrateur de la NASA l’explique : « Aujourd’hui, nous avons fait un pas de géant qui nous rapproche de la possibilité de lancer nos astronautes depuis les États-Unis dans un vaisseau spatial américain ». Ces « taxis » seraient utilisés pour les astronautes et pour le tourisme spatial.
Enfin, le projet le plus ambitieux serait pour 2050. En effet, la société japonaise Obayoshi, spécialiste des câbles en nano-carbone, veut créer le premier ascenseur pour l’espace.
« Vous vous arrêterez à quel étage ? Mercure ? Très bien ! »
Des navettes, tirées par un gigantesque contrepoids et circulant à 200 km/heure, embarqueraient 30 personnes. Un voyage durerait une semaine. Pour ce faire, leur projet repose sur un câble en nano-carbone d’une longueur de plus de… 36 000 km ! Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas le nano-carbone je vous recommande notre article traitant du graphène. Pour le garder tendu via la force centrifuge, il devrait aller au minimum jusqu’à l’orbite géostationnaire (GEO).
Cette dernière représente une orbite circulaire autour d’un corps céleste. Elle se caractérise par une inclinaison orbitale nulle et une vitesse orbitale identique à celle de ce corps. Pour simplifier, si vous placez un objet sur cette GEO au-dessus de l’équateur, il restera toujours au-dessus du même point de l’équateur. Cette GEO pour la Terre se situe à 35 784 km. C’est cette orbite qui est utilisée par les satellites de télécommunications pour avoir un relais permanent entre stations émettrices et réceptrices.
Le « Space Evelator » nécessiterait un contrepoids de 12 500 tonnes et diverses installations situées sur le chemin de l’ascenseur. A l’heure actuelle, ce projet semble absurde, cependant il pourrait sécuriser les voyages de recherche dans l’espace, améliorer le tourisme spatial et ouvrir un panel de solutions innovantes pour la conquête spatiale. Comme vous le voyez dans cette vidéo, l’ascenseur partirait d’un port terrestre flottant d’un diamètre de 400 mètres.
Enfin, ce mécanisme permettrait de dire adieu aux fusées. Et d’un point de vue écologique, c’est un gros avantage.
En effet, le tourisme spatial est un véritable danger pour l’environnement. Plusieurs experts du domaine ont démontré qu’un vol d’un millier de mini-navettes par an déposerait dans la haute atmosphère une fine couche de suies. Il s’agit de particules qui captent l’énergie solaire et peuvent rester des années dans l’air. Ainsi, cela augmenterait le réchauffement climatique (jusqu’à +1 degré Celsius dans les régions polaires). De plus, cela réduirait la couche d’ozone au-dessus des zones tropicales pour les orienter vers les zones polaires.
Comme vous l’avez constaté dans cet article, les vols suborbitaux et spatiaux sont très coûteux. Il s’agit donc d’un tourisme d’ultra-riches. Il pourrait ainsi renforcer le clivage entre ultra-riches et riches, et tout simplement, entre riches et classes moyennes/pauvres. Être passionné d’astrologie et pouvoir vivre sa passion en allant dans l’espace nécessitera donc une certaine aisance économique.
Enfin, il est logique de se questionner sur ce tourisme ultra-riche. Premièrement, la plupart des articles vont vous dire que telle ou telle entreprise va envoyer les premiers touristes spatiaux. Cependant, si vous avez été attentifs, vous avez remarqué que c’est faux. Le premier date de 2001.
Deuxièmement, beaucoup proposent uniquement une expérience 0G. Ainsi, ce n’est pas réellement de l’apesanteur mais de la microgravité. En effet, l’équilibre n’est pas toujours parfait et cet état ne dure que quelques minutes. Enfin, ils proposent des vols de courte durée à des prix astronomiques alors qu’Airbus propose son programme Air Zero G pour 6 000€. Un A310 va alterner des manœuvres de montées et de descentes pour offrir douze fois vingt-deux secondes d’apesanteur. C’est notamment celui utilisé par les chercheurs du CNES.
Il faut tout de même reconnaître que cette guerre pour le tourisme suborbital/spatial accélère la révolution suivant l’accès à l’espace. De nouveaux métiers vont apparaître et le domaine scientifique va en sortir enrichi. Enfin, comme dans la plupart des cas où le public laisse une place au privé, cela va permettre des innovations technologies et techniques. Nous l’avons déjà vu avec les fusées réutilisables. Dans notre cas, cela peut aussi renforcer le plan d’Elon Musk pour les premiers pas de la colonisation spatiale.
Sources
https://detours.canal.fr/tourisme-spatial-cest-2018/
https://www.aerospatium.info/tourisme-blue-origin-virgin-galactic/
https://fr.sputniknews.com/sci_tech/201708311032859895-licence-tourisme-suborbital-russie/
http://geeko.lesoir.be/2017/07/06/les-premiers-touristes-de-lespace-senvoleront-en-2018/
http://sciencepost.fr/2017/06/tourisme-spatial-besoin-dargent-decoller/
https://worldview.space/fly-your-payload/
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